mercredi 15 février 2012

Lettre de motivation à une entreprise qui travaille dans le voyage, poste de RRH

Bonjour,

Votre offre m'intéresse beaucoup parce qu'il s'agit de voyages et étant d'une famille qui a eu la chance de beaucoup voyager, la possibilité de travailler pour votre entreprise est une vraie opportunité.

Ainsi j'ai voyagé, petit, d'abord en Europe, en Espagne, où il y avait de magnifiques "Paradores", et en Belgique - moins exotique même si les canaux de Bruges plongés dans la brume font rêver.  J'ai aussi voyagé au Proche Orient, c'est vrai, plutôt dans un contexte familiale mais cela n'enlevait rien à la beauté de ruines de châteaux croisés en Galilée, aux rayons du Soleil qui se dorent sur les mures de Saint Jean d'Acre, au son des Muezzins à Jérusalem, le soir. Plus mystérieux, encore, Madagascar, et ses collines bordées de rizières, la Tanzanie et ses vallées vertes entourées de volcans dans lesquelles paissent des Gnous, des antilopes, des espaces grands comme le Canada avec sa Forêt, aux arbres gigantesques, sauvage.

Il est vrai que j'avais rêvé de travailler, sur une île, au service d'une collectivité humaine ajustant au projet stratégique les ressources humaines nécessaires, soucieux que chacun travaille en utilisant au mieux ses compétences. Dans mes divers expériences professionnelles depuis 2008, date à laquelle je décidai de me reconvertir dans les RH, il apparut souvent de nombreux accrochages entre la Direction et les représentants élus de cette collectivité. Après une expérience dans le recrutement (2008) je travaillai dans les relations sociales (2008-2009), mais la collectivité ne survécu pas, l'île sombra dans l'océan après la dernière éruption! Je décidai de créer en 2010, mon auto-entreprise grâce à quelques rondins que j'avais pu lier entre eux par des connaissances solidement acquises:  un Master en management des RH validé la même année au CNAM. Cela me permet, encore, aujourd'hui de confronter mes connaissances les plus techniques aux caprices des réalités océanographique tout en vivant sur un réservoir important de client, car les eaux sont chaudes.

Mais à terme, je souhaite retrouver cette possibilité de développer les ressources de chacun dans une collectivité comme la vôtre dont le projet : inviter au voyage, fait rêver. Mes nombreuses expériences et péripéties m'ont donné les cheveux blancs qui me permettrons, avec sagesse, de remplir les fonctions de RRH dans votre collectivité.

Soyez assuré, des mes sincères salutations,

Un voyageur dans l'âme

vendredi 18 novembre 2011

Recherche d'emploi: changement de stratégie

Quelles direction donner à sa recherche d'emploi? Lorsque tout semble stagner, que les vielles formules se répètent? Lorsque l'inspiration fait défaut, lorsque l'on s'use en activités stériles? Lorsqu'on finit par culpabiliser de ne plus culpabiliser.

Cela pose la question de la nature du travail. Selon la Bible la travail est devenu pénible lorsque l'homme a commis le pécher originel. La pénibilité du travail  est devenue la sanction du mal commis par l'homme. Dans le dessein pédagogique de Dieu, il y a toutefois dans cette sanction un remède : Adam va devoir travailler péniblement la terre d'où il a été extrait. Au fond le travail permet à l'homme de devenir plus homme en participant à sa propre création. Non pas, comme pour les raéliens, l'homme créer l'homme, mais par grâce. C'est pourquoi on peut dire que le travail est une servitude et en même temps un processus de libération.

Pour Max Weber ("Éthique protestant et esprit du capitalisme" 1911), le travail n'est pas une fin en soi mais un moyen d'accumuler des richesses en vu de gagner le salut. Ce qui est libérant dans le processus c'est que l'homme apprend à s'organiser, à rationaliser son temps , à l'inverse du journalier qui erre d'employeurs en employeurs, l'entrepreneur s'engage dans la durée. Il est aussi capable de repousser à plus tard la jouissance des biens qu'il aura acquis. Il se projette dans le futur. A l'inverse, le jouisseur impénitent, aristocrate, de l'ancien régime, aura tendance plutôt à dépenser tout son bien en fonction de ses envies sans penser au lendemain, sans esprit de responsabilité. L'ascétisme est, pour le sociologue, la clé du succès et cite Saint François d'Assise comme, au fond, le premier protestant. Il y a un dégoût prononcé de l'argent chez les protestants selon Max Weber, à qui, en même temps, ils donnent une place très grande. L'auteur cite un texte de Benjamin Frankling dont on a retenu que la formule célèbre : "time is money", où le diplomate explique que le soucis du profit peut engendrer les bonnes mœurs. Un banquier n'ira pas s'encanailler, le soir après le travail, de peur qu'un client ne le voit et ne veuille plus déposer de l'argent à sa banque.

Ma dernière certitude, c'est que le travail est d'abord une rencontre. Quand on est encore jeune, c'est une rencontre avec quelqu'un qui peut transmettre son savoir et faire progresser. Lorsqu'on a de l'expérience, le travail est un service pour les autres où l'on exerce des responsabilités et l'on tâche d'apprendre de ses expériences.

Personnellement, il est difficile de travailler lorsque l'on est aucunement stimulé, lorsque le travail n'est pas un lieu de dialogue mais où il n'y a que de la production. Je ne nie pas qu'il faut quelque fois conjuguer avec la réalité mais la répétitivité d'une tâche, sa monotonie et l'impossibilité de créer des liens interpersonnel grève la motivation. En fait, le vrai problème c'est la motivation.

Mon prochain article sera sur la motivation.

mardi 18 octobre 2011

Prise d'otage d'un agent Pôle Emploi

Vais-je pleurer sur le sort de cet agent Pôle emploi retenu en otage par "un forcené" disons plutôt un autodidacte au chômage? Non et trois fois non!

Pourtant, je vous l'accorde, ce n'est pas une attitude juste. L'employé Pôle Emploi a des enfants, une vie, il ne veut pas mourir pour son métier etc...Mais il est l'incarnation de la faillite de l'État! Le président actuel a été élu après avoir promis qu'au bout de 5 ans il réduirait le taux de chômage à 5%. Ce n'est pas le cas.

En lisant plus attentivement l'article, paru dans le Parisien du mardi 18 octobre, on apprend que l'homme est autodidacte, il n'a pas de diplôme donc. A priori il a été victime de la discrimination par les études. Il a une vie sentimentale instable puisqu'il n'a qu'une compagne (qui ne semble pas être la première étant donné le nombre "d'amies" qui sont interrogées sur son sort). C'est vrai qu'aujourd'hui le mariage est rare, mais le fait qu'il partage sa vie avec une compagne (même visiblement dévouée) ne présume pas d'une grande stabilité. Le preneur d'otage n'est pas un homme dépourvu de ressources, il est débrouillard capable de se reconvertir mais, là, à 45 ans, ça fait trop. On ne peut pas en permanence "réinventer sa vie". On souhaite logiquement être sur des railles. A une vie instable correspond une sexualité et une vie affective instable entretenue par la pornographisation excessive des médias. On ne peut pas aimer par intermittence! On ne peut aimer que complètement. On ne peut pas se donner à moitié dans l'amour mais totalement. Quand le marché du travail ne donne pas la possibilité de s'installer qu'est-il possible de faire? Lorsque l'on est sans cesse inquiet de l'avenir, lorsqu'on ne peut faire confiance que dans ses propres ressources, lorsque l'on voit s'approcher la vieillesse, lorsqu'en plus de cela, la solitude, l'incapacité à s'attacher vous renvoie l'image d'un être égoïste, velléitaire, pusillanime, il y a quoi prendre en otage un fonctionnaire de catégorie C.

Mais ce n'est pas de la faute exclusive de l'agent Pôle Emploi. C'est l'État, le problème ou, du moins, la façon dont on a réglé le problème du chômage depuis des siècles.

Si sous l'ancien régime le chômeur issu d'un milieu pauvre se faisait embaucher comme journalier dans une exploitation menant, selon Max Weber, "une vie déstructurée", l'homme issu d'un milieu plus aisé se faisait inviter par ses relations à tous les dîners et les buffets et autres réceptions. On les appelait les "pique-assiettes" et l'on a des exemples célèbres comme l'abbé de Bernis (1715-1794) qui disait bien que sa situation "le dévorait d'amertume" mais qu'il fallait qu'il garde le sourire "parce qu'un visage chagrin lasse". Ayant gagné la protection de la marquise de Pompadour il finit par obtenir un appartement aux Tuileries. Ce qui l'a sorti de sa misère c'était sa capacité à faire des vers (une habitude qu'il avait prise quand il se sentait au fond du trou). Il s'installait d'ailleurs au Procope, un café parisien dans le 6ème arrondissement où il fit la rencontre de Voltaire. Spécialiste de la rumeur, comme certains de nos ministres actuels ou plus anciens, ce pseudo-philosophe et mauvais tragédiens faisait courir des bruits infâmes sur lui.

Pour sortir de cette situation pénible, il fallait chasser soit la pension, soit la rente et encore fallait-il que la rente dépasse un certain montant. Or, les rentes des abbayes rapportaient de moins en moins en raison de la chute des vocations. A cela s'ajoutait l'interdiction de travailler pour la noblesse. C'était pas gagné.

Le XIX ème démocratise et ennobli le travail. Désormais tout le monde doit travailler. Les principes sont claires : "l'oisiveté est la mère de tous les vices". La Société Industrielle se développe. Les échanges se font de plus en plus souvent, tout s'accélère. Les masses laborieuses inquiètent la nouvelle aristocratie industrieuse, pour éviter la guerre des classes il faut qu'elles travaillent, d'où la maxime : "Classe laborieuse, classe studieuse". Que ce soit dans la maison du Maître ou à l'Usine, l'homme de la masse avait le choix entre travailler, prier, dormir. Avec le marxisme la messe a été remplacée par "la grand messe marxiste". La religion, le travail, les besoins physiologiques ont servi de "guerres de substitutions" (J-C Michéa) à la guerre des classe et à celle, plus classique, entre les Etats, mais la vision utilitariste de la religion, la fuite organisée dans le travail  et le matérialisme comme seule voie vers le bonheur ont été attaqués par les idéologies du début du XXème siècle. Les idéologies voyaient dans l'homme un obstacle au "travail total". La perversion du nazisme a ajouté au principe légitime de Hegel "le travail rend libre" les mots : "le travail rend libre de l'homme". Quand le marxisme appelle à la révolte contre le travail qui aliène, le nazisme au contraire prône une acceptation du travail et de l'aliénation car, en effet, le travail aliène l'homme ancien pour faire apparaître l'homme nouveau.

De ces visions totalitaires, en réaction est apparue la notion de "vie privée". C'est une notion reprise de Locke, dans la sphère sociale. On le comprend. Mais en France, le travail est l'affaire de l'Etat et l'Etat octroie les espaces de vie privée. Alors qu'il est légitime que l'Etat ne s'intéresse pas à ton travail, en France il dit un mensonge que tout le monde accepte : "Moi, l'Etat, je vais te donner un travail". Comment peut-il? Comment une organisation administrative de 2 millions d'agents reposant sur un network de 3 millions d'agents supplémentaires, peut t'assurer que tu vas trouver du travail?

Le travail n'est pas une notion abstraite correspondant à celle d'un poste dans une entreprise, derrière un ordinateur, dans une tour, avec des dossiers rouges, bleus et vert, des distributeurs d'eau, des machines à café, pour les moments de convivialité. Le chômeur n'est pas un être isolé, crève la faim et qui est prêt à accepter n'importe quoi, ou un individu qui n'arrive pas "à définir son projet professionnel", ou un référentiel de compétences.

Le problème c'est que l'interlocuteur naturel de l'État, entité abstraite, c'est l'individu, entité abstraite. Ce n'est pas le groupe, le corps intermédiaire, non, l'individu. L'individu et l'Etat sont dans un face à face qui justifie le pouvoir qu'ils ont chacun l'un sur l'autre. Plus l'individu est faible, plus l'Etat intervient et plus il intervient moins l'individu agit, prend des initiatives. Conséquence, l'organisation trop centralisée de l'Etat, l'élaboration d'un outil national pour combattre le chômage sont une erreur. C'est le plantage assuré.

Que faire sinon décentraliser le travail, faire du travail l'affaire de tous, des Universités, des Entreprises, des Mutuelles et tous les autres types d'organismes, des régions, des départements des communes. Il faut que chaque commune ait les moyens d'un canton suisse pour combattre le chômage au niveau local. Rendre au travail sa vraie place, le travail ne fait pas le travail contrairement à ce que disait un Président, au contraire, c'est la relation, les contacts, les amitiés, les affectivités, les désirs qui font le travail.

La philosophe, Simone Weil, s'interrogeait sur comment les ouvriers acceptaient leurs conditions de travail, elle constatait qu'ils avaient crée des relations de solidarités, d'entraide, qu'ils avaient élaborés leur propre échelle de valeur, de reconnaissance... Ils avaient ainsi "humanisé" leur travail et rendu supportable. Mais à l'époque il y avait une véritable classe ouvrière avec des liens solides, aujourd'hui, il n'y a que des individus séparés les uns des autres, seuls. Il n'y a pas de lien, pas d'attache. L'individu enfermé dans sa caverne imagine un monde du travail pire que ce qu'il est, fait d'exploitation  et de domination, sans se rendre compte que c'est sa propre violence qu'il observe.

mardi 7 juin 2011

Pièce de théatre: le monologue du consultant

(Salle presque vide, tableau détaché du mur, un homme assis, les bras sur les genoux devant son téléphone, table, chaise)

(Le téléphone sonne) Allo? Euh...Gérard Mooz au téléphone! Mooz, oui, non...pas Looz, Mooz. Oui, c'est ça ...oui,oui,oui... je suis consultant.... en quoi? Ben euh - aparté: en tout, en astrologie, en chiromancie, en philosophie, en morphologie, en fais-voir-ce-que-tu-bouffes-je-dirai-qui-tu-es...en comment faire correctement l'amour à sa femme pour éviter les scène de ménage etc...- en quoi? Eh bien en organisation, oui? C'est trop simple? Ah oui, non je voulais pas vous parler en langage technique propre aux « gens du métier », mais, nous disons : « Consultant en stratégie des organisations, gestion du changement et ingénierie des ressources humaines ». En quoi ça consiste? Eh bien si vous avez un problème dans ce domaine (ou ce « field » pour les initiés), on vous le règle. Non, nooon, ne vous inquiétez pas, on vous le dira si vous avez un problème.... il suffit que vous le sentiez, vous allez chez le consultant et lui il vous dira de quoi vous souffrez. Compris! Par exemple j'ai eu un client dont les collaborateurs étaient intenables, il ne pouvais pas demander à sa secrétaire de lui taper une lettre sans qu'elle se mette en arrêt maladie, figurez-vous pourquoi? Eh bien parce que sa femme le trompait avec son adjoint! Eh oui! L'adjoint voulait prendre sa place c'est tout! Comme dans cette entreprise où le bâtiment s'est fendu en deux après le divorce de l'employeur, ou cette autre où ils ont tous menacé de faire un suicide collectif parce que les salariés avaient été formé par un organisme affilié aux raéliens.

Donc, oké...oui...je vois.... Bon, très bien la prestation est de 1000 € la journée, je vous la fais à 750 €, oui...parce que c'est vous! Ahahaha! Oui c'est cher...non vous comprenez c'est une prestation « Intellectuelle » et pas manuelle, c'est l'esprit et pas la matière, c'est le cerveau et pas les tripes, (pour lui-même) c'est la tête et pas le cœur, c'est Dieu et pas les hommes , c'est le concept froid et pas la poésie....je m'égare. Très bien, on fait ça. A bientôt!

Aaaaah, quel supplice! Quel supplice! De faire un métier que je hais! Tout ça pour grappiller un peu d'argent et pour m'effacer des chiffres du chômage. D'ailleurs notre Président a décidé d'éradiquer le chômage pour toujours. Ils ont tous essayé de le faire depuis des années, je ne vois pas pourquoi en 2040 ça marcherait. Il a dit, lors d'une émission retranscrite en directe: « Je m'engage à révoquer le chômage! » Révoquer le chômage, comme Louis XIV a révoqué l'Édit de Nantes. Au fond le chômeur, c'est comme un protestant, ça gêne, ça pense pas comme tout le monde, c'est une contradiction vivante du système. Pour lutter contre le protestantisme, le roi avait décidé de l'usage de la persuasion et de la force. La persuasion d'abord et la force après.... Bon allez expliquer ça à un camisard, une de ces brutes mal-dégrossies que l'on recrutait dans les caniveaux. D'ailleurs si la persuasion a été utilisée, de loin, pour certains protestants des villes, ceux qui vivaient dans les montagnes ont plutôt vu la force...de près. Le roi demandait un rapport régulier de l'évolution du protestantisme sur le terrain à ses Ministres de « quartiers » - car ils géraient chacun un quart de la France. Ils s'appuyaient sur un réseau zélé d'Intendants, équivalents des Préfets. On remettait au roi ce qu'on appelle aujourd'hui vulgairement des « tableaux de bord » du nombre de conversions, du pourcentage de personnes qui avaient communiées. Peut-être qu'un Ministre par souci d'honnêteté distinguait entre les « vrais convertis » et ceux à qui on avait légèrement forcé la main. Il y avait une case pour ceux qui refusaient obstinément. Évidemment ces flagorneurs de Ministres se faisaient mousser pour montrer qu'ils faisaient mieux leur travail que le Ministre de l'autre quartier, la case des « obstinément rétifs » diminuait à chaque nouveau rapport. Un jour, le roi s'est réveillé, il faisait beau, le soleil illuminait la galerie des glaces d'une lumière chaude. Ses ministres l'attendaient au Haut conseil et lui présentèrent des rapports superbes sans ombre de « rétifs à la conversion ». Joie! Après un copieux déjeuner, le roi, soulagé et satisfait, signa la révocation de l'édit de Nantes puisque qu'il n'y avait plus de protestant dans le royaume. C'est une mesure qui l'a rendu très populaire.

Le chômeur est le protestant d'aujourd'hui. Il y en a près de 3000 000 qui n'exercent pas de métier, rien. Cela monte à à peu près 17% de la population active si l'on ajoute tout ceux qui travaillent qu'une partie du temps parce qu'ils ne l'ont pas choisi soit près de 4000 000. Je ne sais pas, si on ajoute les inactifs de tous âges on pourrait dire que ce pays ne tient, en terme de productivité pure (que l'on peut comptabiliser) que sur une minorité de la population.

Il y a un problème. On nous ment. Ou bien on estime que si la France est un pays riche cela tient au miracle – on a toujours pas prouvé, si je ne me trompe, comment la Terre tournait sur son axe – ou bien que la richesse est ailleurs? En fait, nos instruments de mesures de richesse économique moderne se basent sur une unité de principe: l'homo oeconomicus. Ce qu'on ne dit pas de l'homo oeconomicus c'est qu'il incarne le modèle parfait de la société individualiste dans laquelle nous vivons. C'est l'être capable de vivre en totale autarcie, coupée des autres, relié à l'extérieur uniquement par un contrat de travail et un salaire, ou un site internet et des honoraires. C'est l'homme qui est tombé dans un puis et qui se dit « finalement, après réflexions, je vais me faire ermite ».

Je ne sais pas si vous avez remarqué que, comme chômeur de longue durée, l'organisation de votre ANPE-Pôle Emploi local change tous les 3 à 6 mois. Un jour vous faites la queue pour pouvoir prendre un RDV où, là, vous ne ferez pas la queue. Un mois plus tard vous revenez dans la même agence vous vous dirigez vers le même agent qui vous explique que désormais il ne prend pas les RDV mais vous « redirige » vers une cabine téléphonique avec un numéro spécial. Un autre jour, vous allez dans la même agence et là vous ne voyez plus d'agent, puis subitement vous vous retournez et il est derrière vous. Il n'est plus agent d'accueil mais « consultant ». Il va se promener avec vous dans toute l'agence en vous indiquant comment il faut faire les choses mais sans les faire pour vous. « L'extrême légèreté de l'être » comme disait Kundera, l'extrême légèreté de l'agent de l'ANPE-Pôle Emploi, sinon l'extrême légèreté du service public.... Un jour vous revenez à votre agence et elle n'est plus. Un papier indique que les services ont été regroupés « pour les cadres c'est telle adresse et pour les autres c'est telle adresse... ». Ouf je suis cadre! Si j'avais été autre chose que cadre où aurais-je atterri?

Il paraît que, surtout en période électorale, commence une mousson de logiciels. Des nouveaux process, software etc... viennent rendre plus efficace la gestion du chômage. C'est à dire que par un nouvel algorithme le nombre de chômeurs diminue. C'est fou le progrès! Eh puis cette idée grandiose que le chômage doit être directement géré par l'État. En effet, plus le territoire est vaste plus la politique de réduction du chômage est efficace! C'est une question d'échelle! Pour le pays qui a imposé le mètre dans toute l'Europe, comment n'y avions nous pas pensé? Tous les travailleurs se ressemblent, par exemple, un comptable est pareil qu'il travaille au Nord ou au Sud. Un cadre de la fonction RH – pour ne citer que les métiers les plus glamours – est identique à un autre cadre de la fonction RH. Tout fonctionne de la même façon parce qu'on est tous « égaux face à la loi »! Ovide a pleuré sa patrie en Illyrie où il avait été exilé par Auguste. Ponce Pilate a été nommé dans les Pyrénées parce qu'il n'avait pas assuré après avoir tué un juif innocent qui s'est révélé être Dieu, Napoléon a été conduit à l'Ile d'Elbe d'où il a fait le chemin inverse. On ne peut pas décider de muter arbitrairement des personnes qui ne le veulent pas même s'il y a un besoin clairement identifié. En plus, aujourd'hui, l'homme est une somme de compétences, or les compétences sont interchangeables, donc les hommes sont interchangeables! Crésus a inventé la monnaie, on échange plus de produit mais l'argent qui représente la valeur estimative du produit. La compétence est la monnaie d'échange des hommes sur le marché du travail.

Généralement je me retourne dans la rue quand je vois une jolie femme. Presque instinctivement mon regard se porte sur sa poitrine, ses hanches et ses fesses, les yeux... après. Quand je pense qu'un dirigeant d'entreprise pourrait me regarder comme ça : « mmmh, quelles compétences généreuses ». Je le regarderai fixement et lui dirai « et mes yeux! » j'ai une âme aussi!

Mais les dirigeant d'entreprise sont aussi des êtres humains.... d'ailleurs je suis un dirigeant d'entreprise. Je vous présente ma secrétaire (son indexe) qui me sert à allumer mon ordinateur tous les matins. Ma table, fidèle au poste, et l'ordinateur, fidèle compagnon de cette exaltante aventure humaine qu'est la création de son entreprise. Je suis, comme vous l'avez deviné « Auto-entrepreneur ». Je suis entrepreneur de ma vie. Comme je suis jeune dynamique et que j'ai beaucoup de cheveux j'ai préféré être « auto-entrepreneur » plutôt que « salarié en portage salarial » réservé à des géronto-chauves en mal de salariat. Je suis entrepreneur et pas « porté »! J'entreprends tout, c'est une nouvelle vision du monde, une révolution mentale! Voyez par exemple je vais entreprendre de me faire une omelette à déjeuner plutôt qu'un couscous, mais ensuite, après avoir signé un accord avec moi-même je pourrais envisager de généraliser la consommation de salade de fruit au petit-déjeuner. En début d'année, depuis 2 ans que l'expérience dure, je présente mes vœux face...à la glace, un parterre attentif. Je fais le bilan de l'année écoulée et puis je trace les perspectives pour l'année à venir. Oui, je suis le type de dirigeant « visionnaire ». A la fin, je dis bien que j'assume l'entière responsabilité de mes actes et que je ne suis pas du genre à faire porter le chapeau de mes échecs sur mes salariés. Les rapports sociaux sont plutôt bons, les contestations sont rares, aucune réunion avec les représentant du personnel, pas de procédure contentieuse. Je mérite une palme. Rare sont de pareils consensus. Il est vrai que mon pied a fait quelque fois du manque de zèle. Il était devenu tout froid, un peu comme si, un matin vous ne voulez pas vous lever parce que vous savez que le travail que vous allez faire vous emmerde profondément. J'ai été voir le médecin de mon quartier à qui j'ai donné du « Monsieur le Médecin du Travail » et à qui j'ai soumis une attestation pour qu'il me la remplisse conformément à l'usage afin de savoir si mon pied pouvais bénéficier d'un arrêt maladie. Le client n'a pas été d'accord et bien que j'ai longtemps essayé de concilier la chèvre et le chou, entre moi qui promettais de faire faire le travail en temps et en heure et mon pied qui faisait du manque de zèle...J'ai fini par lâcher le client, préférant garder mon pieds, qui est, quand même, un bon et loyal salarié. D'ailleurs, il a repris très vite de ses forces, et était sur le pied de guerre trois jours plus tard.

Bon, revenons à notre travail. Donc le client m'a demandé de faire trois livrables – un projet d'accord d'entreprise sur les seniors, un tableau de bord sur l'égalité des hommes et des femmes et un power point sur la gestion du changement avec une accentuation sur la résistance au changement. Pourquoi est-ce que ça m'emmerde? Aaaah, je ne sais pas. Je ne comprends pas. Quand je pense à mon ancien collègue dont les yeux s'allument, la poignée de main s'humecte et le poil devient luisant lorsqu'il doit traiter ce genre de sujet. Je ne comprends pas. Rien que d'y penser me plonge dans une parfaite fatigue. Vite un lit (un lit apparaît  et disparaît aussitôt), vite un bain, chaud, savonneux (une poignée de douche émerge), j'ai dis un bain!

(Il compose un numéro hâtivement) Allô, Mathilde?? Oui...oui (peu à peu sa voix devient plus grave et chaude)...mmmh, tu fais quoi en ce moment? Mmmmh? Tu es sur ton lit...? Bon, ça te dis qu'on se prenne un petit café un de ces quatre? Oui...non, juste un petit café, un tout petit café, tout petit...oui...quoi? Ben on commence par un tout petit café, puis un double et un triple enfin, plus si affinité.... si tu vois ce que je veux dire...Allez salut, bisous, mmmm, je t'embrasse, oui, oui, moi aussi, oui sur le nez...aussi...ciao.

Ça commence par un café et ça fini dans un resto très cher. C'est toujours la même chose. Tout se paye de nos jours.

Le problème du travail c'est le problème du corps. Même combat. Même ennemi, l'autre. Pourquoi lorsqu'on est mal dans son corps on est mal au boulot. Certains n'arrivent pas à choisir un boulot. Ce sont les anorexiques du travail. Quand ils reçoivent leur paye, ils dépenses rapidement tout ce qu'ils ont gagnés. Les alcooliques du travail sont bien connus, ils commencent à travailler et ne voient jamais la fin. Ils tirent un plaisir malsain de la succession de tâches et ont peur de s'arrêter. Le monde est une toupie. Il y a les rêveurs, s'attachant à leur rêves pour ne pas être affrontés à la réalité rebutante de leur travail. C'est comme la femme qui couche avec un homme qu'elle n'aime pas et s'échappe dans un bovarysme nécessaire.

En fait le travail c'est le lien social, c'est l'affirmation du lien que l'on veut tisser avec les autres. Est-ce que je travaille pour de l'argent? Très bien , l'argent devient mon Maître. Est-ce que je veux travailler pour la reconnaissance sociale? Pareille pour la reconnaissance sociales. Est-ce que je travaille pour l'équipe? Très bien, ce qui est important pour moi, c'est la vie d'équipe. Est-ce que je travaille pour la machine, mon Maître c'est la technique, pour le client, mon Maître c'est la séduction, pour moi, mon Maître c'est mon Ego. Quelle idole se cache derrière le travail?(...)


(La suite au prochain épisode)

lundi 25 avril 2011

Société de réseau ou société de relations?

Ce thème, je vous le propose en débat.

En sortant la piscine ce matin dans une ambiance chlorée, en ce lundi de Pâque presque estival, j'ai repensé à ce que m'avait dit la guichetière : " Vous ne savez pas? On va être reclassé!" " Eh bien, alors, qui va donner les billets?" "Personne, il y aura un distributeur et des rotateurs comme dans le métro, une personne sera en charge de tout surveiller (...) C'est pour faire des économies."


Oui, je suis d'accord avec "On". Cela va faire des économies. A supposer qu'un poste de guichetier (pardon: "hôtesse de caisse") peut s'élever à 2000€ à côté duquel nous avons un surveillant de baignade, un éducateur sportif, un chef de bassin et une personne en charge de l'hygiène, cela peut monter à 15000€ par mois (généreusement) multiplié par 12, cela fait 170 000 € par an , ajoutons un 13eme mois et nous sommes à 185000€ de masse salariale par an. Comparez avec la somme des services externalisés d'une part (5000€ par mois) et du salaire mensuel d'un surveillant général (2000€), nous sommes à 85000€ par an, avec 13eme mois à 86000€. Les économies sont considérables.

 Évidemment c'est moins coûteux, mais est-ce que c'est plus humain? Rien est moins sûr.
 En réalité, nous vivons dans une société tellement soumise aux impératifs d'efficacités et "d'objectifs à atteindre" que nous en sacrifions la relation. Les quelques mots échangés, ces riens qui font que la vie peut paraître moins solitaire.

 Tous les régimes dictatoriaux ont attaqué la relation. La ville de Genève, à l'époque de Calvin avait monté une police des mœurs chargée de faire des "Visitations" au delà de 9 heure du soir afin de vérifier la bonne tenue morale de ses habitants. Un citoyen était-il convaincu de crypto-catholicisme? Il était envoyé en prison ainsi que toute sa famille qui, l'ayant su ne l'avait pas dénoncé. Cette époque a laissé des traces profondes chez les habitants de cette ville.Créer la suspicion entre les voisins est une façon efficace de combattre la relation même privée, afin d'imposer son pouvoir.

 Plus proche de nous, dans "Parler de Dieu est dangereux" (ed. 1985, Desclée de Brouwer) Tatiana Goritcheva reporte une scène d'interrogatoire au siège du KGB: "Quand, il y a 10 ans, on m'avait pour la première fois interrogé (...) j'avais découvert avec terreur que la plupart des questions n'avaient pas été directes, avaient visé autre chose. Par exemple, on m'avait demandé l'adresse de V.F. que j'avais donnée en pensant que le KGB pouvait se renseigner de toute façon. Or l'enquêteur avait voulu savoir à quel point nous étions liés (...)" Cette intellectuelle Russe, dont la conversion au christianisme, dans les année 70 avait réveillé la suspicion des autorités soviétiques, décide alors de choisir le silence. Dans cet exemple on voit comment ce qui est attaqué dans la relation  c'est cette part affective, ce mélange de tendresse, de commune vision du monde, peut-être de séduction, mais dont la recette relève de l'irrationnel, de l'inexplicable. Pourquoi aime-t-on cela plutôt qu'autre chose? Au fond, on ne sait pas. C'est cette part d'inexplicable qu'un régime rationaliste veut soumettre à la raison. Il y a des causes à tout et, derrière toutes les causes, il y a l'homme et pour combattre ces causes aliénantes de notre liberté (celle de vivre sans cause), il faut combattre l'homme. Le rationalisme soviétique est anti-humaniste.  L'auteur conclu : "Pourquoi cette tension? On trouvera cela ridicule, mais le plus dur est l'interdiction d'aimer".

 Cette dernière citation peut servir de socle d'ailleurs à tout ce qui a été dit avant et ce qui va être dit maintenant, un peu comme le moine copiste qui trace le premier caractère du texte dicté, au milieu de la page.

Loïc Boltanski et Ève  Chiapello dans "Le Nouvel Esprit du Capitalisme" (réédition 2007) démontrent que la société de mai 68 au noms de valeurs "artistiques" de créativité et d'individualité a substitué à une société autoritaire fondée sur le principe d'obéissance, une société réticulaire fondée sur le principe d'épanouissement individuel. Mais c'est pour mieux critiquer cet état de fait - et je le soutiens d'ailleurs - car, en effet, la société réticulaire se veut libérée des contingences du passé. L'homme se définit par un réseau de relations qu'il contribue à étendre. Mais le réseau n'est pas une relation car le lien n'est fondé que sur l'intérêt - exemple: trouver du travail - Le réseau est proche (la famille) ou lointain (relations extra-professionnelles), inné ou acquis il est sans cesse soumis à un objectif utilitariste qu'est l'épanouissement individuel du "moi". Mais "qui suis-je"? C'est alors que le système en contradiction flagrante avec ses principes propose un modèle idéal typique d'un homme créatif qui connaît ce qui le rend heureux. En conséquence, chaque échec lui est imputé à cet être du nouveau capitalisme. Lorsque la réussite n'est imputable à soi et non à l'autre pourquoi la partager? A lors on est heureux avec ses succès, on est triste avec ses défaites, mais... tout le monde s'en fou. Si Pascal disait "Le Moi est haïssable" ses descendants répondent 'Le Moi est aimable...en prison."

En conclusion, je dirai que la société actuelle soumise aux impératifs libéraux est une menace pour la relation. Au nom de l'efficacité économique on substitue à la relation de l'homme à l'homme celui de l'homme à la machine, au nom de la raison, on jette le soupçon pour atteindre l'homme dans sa vie privée. Pour échapper à ce carcan on rend l'homme responsable de son bonheur.

 J'invite les économistes et les penseurs à se poser la question:
- Comment reconstruire la confiance entre les entreprises et les travailleurs après tant d'année de précarité?
- Comment éviter la tyrannie économique de l'efficacité et du moindre coût?
- Enfin au lieu de penser en terme de valeur à imposer, qu'elles sont les valeurs qu'il faut libérer?

mercredi 2 mars 2011

"Extension du domaine de la manipulation" Michela Marzano

L'exploration  de l'aliénation au travail ne peut faire l'obstacle de cet ouvrage intéressant de Michela Marzano "Extension du domaine de la manipulation" dont le sous titre: "De l'entreprise à la vie privée" nous renseigne d'avantage sur le sens.

Selon l'auteur, l'aliénation au travail, dans l'entreprise contemporaine aurait changé de nature à la faveur du passage d'une entreprise autoritaire et paternaliste à une entreprise totalitaire.

Dans le premier modèle d'entreprise, qui existe encore aujourd'hui, la notion du bien et du mal est dictée par en haut. Le message est claire, le travailleur aliène sa personne au profit de l'employeur. Sa façon de travailler, la cadence etc...sont fixées par la nécessité de réaliser des gains de production. L'employeur est l'ennemi commun contre lequel la communauté des ouvriers se solidarise. Simon Weil, la philosophe en a fait l'expérience. Cette solidarité est nécessaire pour ne pas se sentir "humilié".

Dans l'entreprise totalitaire, l'ennemi n'est plus déterminé avec précision. Ce glissement a été favorisé par une atténuation de l'autorité dans une société post-68. Du taylorisme, fonctionnant sur la contrainte extérieure et imposé par un contre-maître, nous sommes passés au toyotisme, où la contrainte vient du groupe. Aujourd'hui nous sommes dans un modèle encore plus individuel. L'individu est appelé à se manager lui-même, de façon parfaitement autonome afin de devenir lui-même. Pour cela, l'entreprise totalitaire lui propose un coaching, pour être lui-même c'est-à-dire authentique. Elle proposera aussi des chartes éthiques, pour que l'employé ait le sentiment qu'il travaille pour une organisation pourvoyeuse de sens. Enfin, elle lui proposera de développer son "employabilité" pour qu'il puisse facilement réaliser son "projet professionnel".

Mais ces moyens mis à disposition sont accompagnés d'un double langage. L'entreprise valorise l'autonomie et l'authenticité de la personne, mais les objectifs de profits restent les mêmes. Les chartes éthiques apportent du sens? Mais, l'éthique de ces chartes vise à conformer l'individu aux impératifs financiers. En bref, un comportement éthique est un comportement économiquement bénéfique pour l'entreprise. En réalité, l'entreprise prétend que la réussite économique de l'entreprise est la base même de l'épanouissement du salarié. L'entreprise totalitaire ne considère pas l'homme pour ce qu'il est mais pour ce qu'il représente pour l'entreprise: une unité de production dont le solde doit toujours rester positif. Mais, alors que l'entreprise autoritaire ne demandait pas le consentement du salarié à cet asservissement, l'entreprise totalitaire veut ce consentement. Elle s'immisce ainsi dans l'intimité de chacun de ses membres pour "favoriser" ce consentement. Dès lors, certains salariés ne peuvent se dégager des obligations de leur travail une fois rentrés chez eux. L'entreprise développe l'employabilité? Mais c'est pour préparer le salarié à la fin de sa relation de travail. En cas de crise, l'entreprise aura renvoyée sur le marché un travailleur "employable", elle aura donc rempli son contrat moral.

Cette extension du domaine de la manipulation (et du management) se fait en s'appuyant sur un langage culpabilisant pour le salarié puisqu'il est rendu responsable de ses réussites et de ses échecs. Sinon, pourquoi le coaching? L'individu est aujourd'hui perçu comme "pouvant tout faire", un individu qui veut se réaliser, être lui, qui connaît ses désirs. C'est un être fort, un titan. Il est en même temps perçu comme extrêmement fragile. C'est un individu nomade, en quête de son identité. Il a intériorisé les dires des jansénistes et des puritains: "le moi est haïssable" (Pascal). Cyniquement, ses passions incontrôlées servent la richesses des peuples. La réussite ou l'échec, il ne le doit pas à lui-même et quand bien même ce serait le cas, ils reflèteraient sa part haïssable. L'individu isolé est plus que jamais tout puissant et impuissant. Privé d'ennemi, privé de figure d'autorité (même imparfaite) il ne peut que s'en vouloir à lui-même. Il alterne entre l'être et le néant, inconsistant. Il n'y a plus d'altérité, il est seul.  Ce système est fondamentalement pervers et asservissant.

Dans cette optique, la culpabilisation est insoutenable lorsque les épaules sont trop faibles pour le porter. Mais la tentation est forte de faire les choses sans l'homme. Au fond, le dernier obstacle au profit c'est l'homme. Or il a été établit (et c'est ce que tente de démontrer l'auteur) que la loi du marché est bonne mais l'homme est mauvais. S'il faut choisir entre les deux? Cela est fait.

jeudi 17 février 2011

"Valeur sûre" de Stephen GREEN (ed 2010)

L'ouvrage paru en 2010 (éditions: Communio) intitulé "Valeur sûre" dans sa traduction française et ayant comme sous-titre: "réflexions sur l'argent et la morale dans un monde incertain" a comme auteur le Président du prestigieux groupe bancaire HSBC, diacre anglican.

Pour celui qui s'intéresse à l'économie autant qu'à la morale, cet ouvrage ne peut que réveiller sa curiosité. D'abord, est-ce qu'un Président de banque et diacre va s'exprimer d'avantage comme un banquier ou plutôt comme un clerc? Quelle position va-t-il choisir entre Mammon et Dieu? Va-t-il tenir un langage mercantiliste ou plutôt spirituel?

L'ouvrage est agréablement illustré d'exemples nombreux tirés de l'Histoire comme des événements actuels. De jolies citations d'auteurs principalement anglais viennent agrémenter les titres. 

Du point de vu des valeurs, l'auteur commence fort et ce n'est pas pour déplaire. Selon lui, on assiste au cours des cinquante dernières années à une vive accélération de cette perte de certitude. Frankle y voit quelque chose qui mène inévitablement à deux névroses compensatoires: la volonté de puissance (où l'argent n'est, en réalité qu'une manifestation) et la volonté de plaisir (dans laquelle le sexe devient une obsession). C'est le malaise propre et généralisé d'une société qui a dépassé le stade pour la survie.

La société d'abondance dans laquelle nous vivons a pour effet (volontaire ou pas) de taire la conscience et, de par les facilités que procure le monde, de permettre à l'homme de vivre à la surface des choses sans se poser la question du sens. Du moins, l'homme contemporain attend que le sens lui vienne d'ailleurs mais il est incapable de le trouver en lui. Dans la pièce "En attendant Godot" (de God = Dieu en anglais) de Samuel Beckett, Godot ne vient pas. De même, dans "Le désert des Tartares" de Dino Buzzati les ennemis ne viennent jamais, et le protagoniste au lieu de mourir sur le champs d'honneur, meurt piteusement dans une auberge au bord de la route, une mort sans gloire, insensée comme sa vie d'ailleurs qui n'était qu'une interminable attente. (Mais ceci est un ajout du blogueur!) Une époque donc qui oublie la question du sens.

Cet oubli du sens est facilité par la chute des grandes croyances populaires notamment dans le progrès, la conscience de notre imperfection et notre capacité d'espérer à toute épreuve. "Une espérance aussi étrange que le mal". L'auteur nous invite à chercher le sens "dans nos commencements". Il s'agit de revenir "chez nous" en nous-même. Il faut aussi combattre notre tendance au cloisonnement qui nous pousse quelque fois à commettre des horreurs en récitant Faust de Goethe. Ce cloisonnement est un refuge pour échapper à l'ambiguïté de notre nature humaine et aux questions de conscience qu'elle pose.

La suite de l'ouvrage est un développement de ces points essentiels abordés et agencés de façon particulière. L'auteur développe par la suite, de façon chronologique, les phases d'expansion  de l'humanité invitée à se répandre sur toute la surface de la terre, et aujourd'hui, la phase de la convergence de l'humanité. A ces deux phases correspondent des défis particuliers. La phase d'expansion a buté sur le péché des constructeurs de la Tour de Babel. Au lieu de conquérir toute la terre, les hommes ont préféré se regrouper pour construire une Tour qui leur permettrait de rejoindre Dieu directement. Dans la deuxième phase, l'auteur montre que, historiquement, l'accroissement des échanges économiques n'a pas systématiquement correspondu à l'exportation de la paix dans le monde. En s'appuyant sur Teilhard de Chardin, l'auteur tente de nous faire comprendre l'importance de cette convergence humaine. Mais je dois dire qu'il est préférable d'avoir lu Teilhard de Chardin avant. L'homme sort de son étroitesse individualiste et matérialiste vers l'établissement d'une relation avec ses semblables plus spirituelle et fondée sur la notion de "personne". La mondialisation, un processus irréversible selon l'auteur, doit se comprendre ainsi et non comme conduisant vers un choc des civilisations vision réductionniste et matérialiste d'un Samuel Huntington.

Dans le chapitre III "Le grand bazar de la mondialisation", l'auteur tente de comprendre le rôle de l'argent dans le processus. Est-ce que l'argent a été considéré comme un simple moyen "l'huile qui permet au rouage du commerce de tourner" (David Hume 1741) ou "la racine de tous les maux"? (Saint Paul)

Un exposé historique nous fait passer de l'attitude de refus catégorique de l'usure par l'Église catholique, refus reposant sur un compromis accepté par les riches - n'aimant pas l'effet déstabilisateur du commerce - et les pauvres, les premières victimes. Puis, dans le monde protestant, Jean Calvin lève l'interdiction pesant sur l'usure en affirmant qu'il y a une place au paradis pour les usuriers. Adam Smith va permettre l'accession du monde du commerce et de la finance au même niveau inattaquable de moralité que le monde naturel.  Edmund Burke ira jusqu'à déclarer "Les lois du commerce sont les lois de la nature, et par conséquent les lois divines" faut-il en déduire que l'expansion de la liberté dans le monde se fera par le commerce? L'auteur ne porte pas de jugement définitif, c'est un fait, le développement du commerce correspond à un instinct de survie de l'humanité inscrit dans le fond des âges préhistoriques. Le sens vient après. Chacun fait partie d'un tout.

S'ensuit de belles pages sur l'atomisation des relations, l'aliénation qui donne ce sentiment de "solitude au milieu de la foule". La brisure des liens entre les hommes qui "d'harmonieux deviennent antagonistes" (Marx) fait regretter la supposée communion romantique de l'homme avec la Nature dans une société largement urbanisée. Dans le roman d'Albert Camus "l'Etranger" (1942), le protagoniste Meursault s'efforce de construire un système individuel de valeurs pour répondre à la disparition des anciennes. Conséquence, il vit dans un état d'anomie (perte totale de conviction et d'objectif) qui le conduit vers une mort certaine. Dans Steppenwolf (1927) Hermann Hesse décrit l'homme contemporain comme un "loup au milieu des steppes" c'est-à-dire un homme obsédé par le sentiment d'être inadapté au monde au vu et au su de tous soit des gens ordinaires. L'homme est coincé entre son animalité et son humanité incapable de réconcilier les deux. Bref, l'individualisme contemporain est arrivé à son terme l'homme ne peut plus se suffire à lui-même.

L'auteur ensuite analyse la crise de 2008, liée, comme toutes les autres, à un optimisme trop grand dû à une nouvelle technologie. On découvre le péché d'hybris qui consiste à rechercher désespérément à être reconnu et admiré même s'il faut utiliser des moyens illégaux comme vendre des actions d'une compagnie qui n'existe pas. Je ne vais pas aller en détail sur ce point. Il est vrai qu'au moment de la crise, l'auteur rappelle que les dirigeants des pays en voie de développement ont été très critiques à l'égard de l'Occident l'accusant de ne pas avoir inscrit le développement dans une vision. L'absurdité de la culture capitaliste actuelle fondée sur la nécessité de faire de l'argent est la cause première de sa chute. Selon l'auteur nous aurions cédé à la tentation de cloisonner entre la morale et l'économie.

Pour finir, si l'auteur s'exprime davantage comme un diacre au début de son livre avec néanmoins une impressionnante référence à l'inépuisable culture anglaise non religieuse, il s'exprime d'avantage comme un homme d'affaire vers la fin. La ligne de partage entre l'Argent et Dieu n'est pas toujours évidente. En effet, son attachement à la culture du "marché" semble quelque fois donner l'impression que l'Économie a envahi le champ de la morale et non l'inverse. Sa réflexion spirituelle est plutôt pauvre vers la fin, ainsi nous apprenons que "la domination des mers par la marine britannique a permis la fin de l'esclavage dans les colonies à la fin du XIXe siècle". Il semble dans ces lignes céder à la tentation d'expliquer que le commerce génère le progrès humain. L'économie passe avant l'homme. En effet, c'est grâce à l'efficacité des bateaux anglais qu'il a été possible de se passer économiquement des esclaves. Je rappelle que l'abolition de l'esclavage s'est fait en France en 1848 parce que l'on considérait les esclaves comme des hommes et non pour des raisons mercantilistes. Très pragmatique, l'auteur souligne une tendance naturelle de l'homme à répartir les richesses généralement parce qu'il est broyé par la mauvaise conscience, au pire parce qu'il considère que c'est une bonne façon d'investir. Ensuite, comme pour se justifier l'auteur cite Saint François d'Assise "parce que c'est en donnant que l'on reçoit", mais cette raison arrive en dernier. On voit donc que l'auteur reste influencé par les explications utilitaristes benthamiennes. Or, ne faut-il pas se défaire complètement de ces conceptions lorsque l'on recherche les vrais valeurs sous-jacentes qui unissent l'humanité? Attention à l'édulcoration!