mardi 18 octobre 2011

Prise d'otage d'un agent Pôle Emploi

Vais-je pleurer sur le sort de cet agent Pôle emploi retenu en otage par "un forcené" disons plutôt un autodidacte au chômage? Non et trois fois non!

Pourtant, je vous l'accorde, ce n'est pas une attitude juste. L'employé Pôle Emploi a des enfants, une vie, il ne veut pas mourir pour son métier etc...Mais il est l'incarnation de la faillite de l'État! Le président actuel a été élu après avoir promis qu'au bout de 5 ans il réduirait le taux de chômage à 5%. Ce n'est pas le cas.

En lisant plus attentivement l'article, paru dans le Parisien du mardi 18 octobre, on apprend que l'homme est autodidacte, il n'a pas de diplôme donc. A priori il a été victime de la discrimination par les études. Il a une vie sentimentale instable puisqu'il n'a qu'une compagne (qui ne semble pas être la première étant donné le nombre "d'amies" qui sont interrogées sur son sort). C'est vrai qu'aujourd'hui le mariage est rare, mais le fait qu'il partage sa vie avec une compagne (même visiblement dévouée) ne présume pas d'une grande stabilité. Le preneur d'otage n'est pas un homme dépourvu de ressources, il est débrouillard capable de se reconvertir mais, là, à 45 ans, ça fait trop. On ne peut pas en permanence "réinventer sa vie". On souhaite logiquement être sur des railles. A une vie instable correspond une sexualité et une vie affective instable entretenue par la pornographisation excessive des médias. On ne peut pas aimer par intermittence! On ne peut aimer que complètement. On ne peut pas se donner à moitié dans l'amour mais totalement. Quand le marché du travail ne donne pas la possibilité de s'installer qu'est-il possible de faire? Lorsque l'on est sans cesse inquiet de l'avenir, lorsqu'on ne peut faire confiance que dans ses propres ressources, lorsque l'on voit s'approcher la vieillesse, lorsqu'en plus de cela, la solitude, l'incapacité à s'attacher vous renvoie l'image d'un être égoïste, velléitaire, pusillanime, il y a quoi prendre en otage un fonctionnaire de catégorie C.

Mais ce n'est pas de la faute exclusive de l'agent Pôle Emploi. C'est l'État, le problème ou, du moins, la façon dont on a réglé le problème du chômage depuis des siècles.

Si sous l'ancien régime le chômeur issu d'un milieu pauvre se faisait embaucher comme journalier dans une exploitation menant, selon Max Weber, "une vie déstructurée", l'homme issu d'un milieu plus aisé se faisait inviter par ses relations à tous les dîners et les buffets et autres réceptions. On les appelait les "pique-assiettes" et l'on a des exemples célèbres comme l'abbé de Bernis (1715-1794) qui disait bien que sa situation "le dévorait d'amertume" mais qu'il fallait qu'il garde le sourire "parce qu'un visage chagrin lasse". Ayant gagné la protection de la marquise de Pompadour il finit par obtenir un appartement aux Tuileries. Ce qui l'a sorti de sa misère c'était sa capacité à faire des vers (une habitude qu'il avait prise quand il se sentait au fond du trou). Il s'installait d'ailleurs au Procope, un café parisien dans le 6ème arrondissement où il fit la rencontre de Voltaire. Spécialiste de la rumeur, comme certains de nos ministres actuels ou plus anciens, ce pseudo-philosophe et mauvais tragédiens faisait courir des bruits infâmes sur lui.

Pour sortir de cette situation pénible, il fallait chasser soit la pension, soit la rente et encore fallait-il que la rente dépasse un certain montant. Or, les rentes des abbayes rapportaient de moins en moins en raison de la chute des vocations. A cela s'ajoutait l'interdiction de travailler pour la noblesse. C'était pas gagné.

Le XIX ème démocratise et ennobli le travail. Désormais tout le monde doit travailler. Les principes sont claires : "l'oisiveté est la mère de tous les vices". La Société Industrielle se développe. Les échanges se font de plus en plus souvent, tout s'accélère. Les masses laborieuses inquiètent la nouvelle aristocratie industrieuse, pour éviter la guerre des classes il faut qu'elles travaillent, d'où la maxime : "Classe laborieuse, classe studieuse". Que ce soit dans la maison du Maître ou à l'Usine, l'homme de la masse avait le choix entre travailler, prier, dormir. Avec le marxisme la messe a été remplacée par "la grand messe marxiste". La religion, le travail, les besoins physiologiques ont servi de "guerres de substitutions" (J-C Michéa) à la guerre des classe et à celle, plus classique, entre les Etats, mais la vision utilitariste de la religion, la fuite organisée dans le travail  et le matérialisme comme seule voie vers le bonheur ont été attaqués par les idéologies du début du XXème siècle. Les idéologies voyaient dans l'homme un obstacle au "travail total". La perversion du nazisme a ajouté au principe légitime de Hegel "le travail rend libre" les mots : "le travail rend libre de l'homme". Quand le marxisme appelle à la révolte contre le travail qui aliène, le nazisme au contraire prône une acceptation du travail et de l'aliénation car, en effet, le travail aliène l'homme ancien pour faire apparaître l'homme nouveau.

De ces visions totalitaires, en réaction est apparue la notion de "vie privée". C'est une notion reprise de Locke, dans la sphère sociale. On le comprend. Mais en France, le travail est l'affaire de l'Etat et l'Etat octroie les espaces de vie privée. Alors qu'il est légitime que l'Etat ne s'intéresse pas à ton travail, en France il dit un mensonge que tout le monde accepte : "Moi, l'Etat, je vais te donner un travail". Comment peut-il? Comment une organisation administrative de 2 millions d'agents reposant sur un network de 3 millions d'agents supplémentaires, peut t'assurer que tu vas trouver du travail?

Le travail n'est pas une notion abstraite correspondant à celle d'un poste dans une entreprise, derrière un ordinateur, dans une tour, avec des dossiers rouges, bleus et vert, des distributeurs d'eau, des machines à café, pour les moments de convivialité. Le chômeur n'est pas un être isolé, crève la faim et qui est prêt à accepter n'importe quoi, ou un individu qui n'arrive pas "à définir son projet professionnel", ou un référentiel de compétences.

Le problème c'est que l'interlocuteur naturel de l'État, entité abstraite, c'est l'individu, entité abstraite. Ce n'est pas le groupe, le corps intermédiaire, non, l'individu. L'individu et l'Etat sont dans un face à face qui justifie le pouvoir qu'ils ont chacun l'un sur l'autre. Plus l'individu est faible, plus l'Etat intervient et plus il intervient moins l'individu agit, prend des initiatives. Conséquence, l'organisation trop centralisée de l'Etat, l'élaboration d'un outil national pour combattre le chômage sont une erreur. C'est le plantage assuré.

Que faire sinon décentraliser le travail, faire du travail l'affaire de tous, des Universités, des Entreprises, des Mutuelles et tous les autres types d'organismes, des régions, des départements des communes. Il faut que chaque commune ait les moyens d'un canton suisse pour combattre le chômage au niveau local. Rendre au travail sa vraie place, le travail ne fait pas le travail contrairement à ce que disait un Président, au contraire, c'est la relation, les contacts, les amitiés, les affectivités, les désirs qui font le travail.

La philosophe, Simone Weil, s'interrogeait sur comment les ouvriers acceptaient leurs conditions de travail, elle constatait qu'ils avaient crée des relations de solidarités, d'entraide, qu'ils avaient élaborés leur propre échelle de valeur, de reconnaissance... Ils avaient ainsi "humanisé" leur travail et rendu supportable. Mais à l'époque il y avait une véritable classe ouvrière avec des liens solides, aujourd'hui, il n'y a que des individus séparés les uns des autres, seuls. Il n'y a pas de lien, pas d'attache. L'individu enfermé dans sa caverne imagine un monde du travail pire que ce qu'il est, fait d'exploitation  et de domination, sans se rendre compte que c'est sa propre violence qu'il observe.